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Blog - Luther et les juifs - Les Éditions Labor et Fides

Luther et les juifs
Par Labor et Fides 13/06/2017 16:22

Retour sur les écrits antijuifs de Luther

Le traité Des juifs et de leurs mensonges, de 1543, est d’une grande violence verbale. L’historien Thomas Kaufmann s’y confronte aussi lucidement que possible.

La haine des juifs, chez Luther, s’est exprimée avec une virulence rare. A la fin de sa vie, dans le traité intitulé Des juifs et de leurs mensonges (1543), il écrit par exemple : «Qu’on incendie leurs synagogues et qu’on recouvre de terre et ensevelisse ce qui refuse de brûler, afin que plus personne n’en voie la moindre trace pour toute l’éternité (...). Qu’on abatte et qu’on rase leurs maisons de la même façon, car ils y pratiquent exactement la même chose que dans leurs synagogues (...). Qu’on leur confisque tous les livres de prière et tous les exemplaires du Talmud (...). Qu’on interdise à leurs rabbins, sous peine de mort, de continuer à enseigner (...). Qu’on interdise aux juifs la libre circulation, car ils n’ont rien à faire sur le territoire (...). Qu’on leur confisque toute monnaie et tous bijoux en argent et en or (...).» Rien d’étonnant à ce qu’à Nuremberg, en 1946, Julius Streicher, compagnon de toujours d’Hitler, directeur du journal antisémite Der Stürmer, ait pu déclarer que Luther aurait dû être sur le banc des accusés. Ces faits sont connus, étudiés et discutés en Allemagne de longue date. Ils demeurent largement ignorés en France, où la traduction de ce texte n’est parue qu’en... 2015 (Honoré Champion).

Emergence progressive

C’est pourquoi il faut lire l’intéressant travail de Thomas Kaufmann, Les Juifs de Luther, paru à Stuttgart en 2014. Professeur d’histoire de l’Eglise à l’Université de Göttingen, spécialiste de la Réforme, ce chercheur se confronte aussi lucidement que possible aux différents aspects de cet antisémitisme. Avec pour mot d’ordre qu’« il n’est pas admissible d’avoir une relation naïve à Luther », son enquête s’emploie à historiciser la haine des juifs de Luther, sans pour autant amoindrir sa portée. Il en rappelle l’émergence progressive, certains textes de Luther, comme Que Jésus-Christ est né juif (1523) étant plus proches d’appels à la tolérance que de la fureur finale. Il relie également cette violence aux terreurs personnelles de l’homme ainsi qu’à l’horizon mental du XVIe siècle, sans oublier que son intensité va «au-delà de l’antijudaïsme chrétien traditionnel» et «présuppose l’antisémitisme moderne», mais sans la confondre pour autant avec les politiques raciales d’extermination qui s’emploieront, au XXe siècle, à vouloir y trouver caution.

Roger-Pol Droit,
Le Monde des Livres, 19 avril 2017